Lundi 5 juin, 9 heures: Caroline et son équipe arrivent comme prévu à la maison. Du petit déjeuner jusqu'au soir tard: je suis filmé. En mangeant, en écrivant, en composant un bouquet de fleurs jaunes et blanches, en m'habillant, en baskets, en chaussures, en rollers, dedans, dehors, à la maison, dans la cour, dans les magasins, dans ma Jeep, seul, avec Anne, puis avec la trentaine d'amis venus à ma fête. Le résultat? Caroline m'affirme qu'elle a de quoi alimenter un sujet d'environ quinze minutes. Je lui fais confiance…
Il est deux heures du matin lorsque les derniers invités quittent mon appartement. Je n'ai plus qu'une idée en tête: aller me coucher, car re-belotte mercredi soir avec l'enregistrement à la Maison de la radio du plateau de "Ça se discute".
Mardi 6 juin: moi qui pensais profiter de cette journée pour me détendre, je suis mal parti! Dès le matin, mon père me met sous pression en m'annonçant de nouvelles visites imminentes de mon appartement. Et celles-ci vont se poursuivre durant toute la semaine…
Mercredi 7 juin, 11 heures 30: je termine d'égaliser les tiges des fleurs jaunes et blanches lorsque la visite d'un acheteur potentiel de mon duplex, accompagné d'un architecte et d'un décorateur, me contraint à bouger. Pas de chance: je venais juste de passer l'aspirateur! Je vais devoir tout recommencer! Puis, mon père m'apprend que j'aurai sans doute d'autres usurpateurs dans l'après-midi. C'en est trop: je vais faire un tour…
En fin de journée, je me prépare enfin pour l'émission de Jean-Luc Delarue -elle sera programmée une semaine plus tard à 22h30 sur France 2- dont l'enregistrement a lieu ce soir à partir de 21 heures dans le studio 102 de la Maison de la radio. Mais, séance de maquillage oblige, je dois y être pour 20 heures. Anne va m'acompagner.
19 heures 30: le taxi de France 2 se gare devant la grille de la maison. En vingt minutes Anne et moi sommes devant le numéro 116 de l'avenue du Président Kennedy. Vêtu d'un pantalon blanc, d'une veste bleu marine, d'un foulard bleu lui aussi, d'une chemise assortie et d'une paire de baskets blanches, j'ai tout d'un yachtman qui aurait amarrer son bateau en double file! Une fois dans le hall de la Maison de la radio, nous empruntons un long couloir que nous parcourons d'un pas rapide. Dans le salon-bar qui surplombe l'escalier menant au studio d'enregistrement, deux charmantes hôtesses nous installent à une table et nous offrent une tasse de thé accompagné de petits gâteaux au chocolat. Apparemment, nous sommes les premiers arrivés parmi les intervenants.
Quelques minutes plus tard, je suis invité à me rendre dans le salon de maquillage. J'avoue à la maquilleuse que c'est la première fois que je me trouve face à un miroir entouré de petites lumières rondes et blanches avec une femme pour me donner un coup de blush: elle sourit. Puis, une journaliste me demande si elle peut me filmer au maquillage car elle réalise un reportage sur les coulisses de "Ça se discute". J'accepte la proposition et commence à lui expliquer les raisons de ma présence ce soir à la Maison de la radio.
Dans la foulée, je suis conduit dans un couloir où le nom des invités de l'émission figure sur chacune des portes des loges réservées pour l'occasion. "Evrard Sainte-Marie" est inscrit en grand sur deux lignes: je pousse la porte à mon nom et découvre un mini salon tout en longueur équipé d'un lavabo, de grands miroirs, de trois sièges et d'un tableau d'un artiste inconnu mais certainement contemporain… Anne me rejoint, suivie de près par Caroline Coldéfy et Julie, la revenante, celle qui la première m'a contacté. En bavardant avec elle, je tente de savoir de quelle façon elle a obtenu mon nom et mes coordonnées. Elle se veut toujours très énigmatique à ce sujet: "on m'a communiqué un listing sur lequel vous étiez", me répond-elle. Cette explication ne me convainc pas. Mais je n'arriverai pas à en savoir davantage. Anne insiste à son tour et Julie lui répond: "j'ai promis à la personne qui m'a donné le nom d'Evrard de ne pas dévoiler le sien". Il y aurait donc un mystérieux ange gardien dans cette affaire. J'en ai de la chance!
La conversation s'arrête là. Anne me quitte car elle doit prendre sa place parmi les spectateurs. Pour ma part, je patiente encore quelques instants dans ma loge, puis Caroline m'entraîne jusqu'au bar. Là, assis à une table, je prends un dernier verre d'eau avant de rejoindre le plateau. Mais à peine ai-je trempé mes lèvres dans le verre qu'Emmanuel de Brantes apparaît. Il est nerveux et un tantinet stressé: normal, il ne s'attendait pas à me voir là. Il tourne, s'agite, se retourne puis s'approche de ma table. "Tu ne vas pas faire des histoires, me lance-t-il d'un air hautain. Tu sais, les personnages du film de Fabien sont un assemblage de traits de caractère de différentes personnes. Tu ne peux pas dire qu'Evrard Sainte-Croix soit entièrement inspiré de toi. Les comédiens ont créé des personnages qui désormais nous dépassent totalement!"
Intrigué par ces révélations, je l'invite à s'asseoir à ma table. Le voir debout, de surcroît, me donne le vertige. Il accepte ma proposition. Une occasion de l'observer de plus près: vêtu d'une chemise, d'un pantalon et d'une paire d'espadrilles mauves, il a également soigné sa fine moustache brune. Celle-ci se résume en effet à un simple trait dessiné au dessus de sa lèvre supérieure qui rappelle les coups de crayon noir que l'on rajoute sur les couvertures de magazines "people" histoire de ridiculiser une VIP!
Emmanuel se rend-il compte qu'il me fait plus sourire que peur? Son sourcil gauche c'est soudain transformé en énorme accent circonflexe. Il ne lui manque plus que le nez rouge pour ressembler à un véritable clown! Je le regarde droit dans les yeux et lui fais remarquer qu'il aurait du me prévenir des traits de caractères qu'il a finalement donné à Evrard Sainte-Croix. Il se lève et part l'air menaçant, comme mes anciens surveillants à " Charlemagne ". Je reste calme puis souris en regardant Caroline qui a assisté en direct à ce petit spectacle improvisé. "Tout va bien? me demande-t-elle. Nous allons y aller…"
Elle m'entraîne dans l'escalier du mythique studio 102. Je suis le premier à prendre place sur le plateau. J'ai droit au fauteuil du centre gauche. Je m'y installe et attends la suite des événements. Quelques secondes plus tard, les autres invités prennent place à leur tour. Sur la tribune située à ma gauche se sont installés Henry-Jean Servat, Hermine de Clermont-Tonnerre, Pierre Cornette de Saint-Cyr, Emmanuel de Brantes et Régina Rubens. A ma droite, et sur la même tribune que la mienne donc, la baronne Marianne Brandstetter -elle a fait son entrée dans la Jet Set en jouant au… backgammon!- et Bertrand de la Tour d'Auvergne, patron d'une agence de mannequins, m'ont rejoint. Tous les deux font également l'objet d'un reportage les concernant.
De nombreuses caméras balayent le plateau ainsi que l'ensemble du public qui vient d'investir le studio 102. Puis Jean-Luc Delarue entre en scène sous les applaudissements de la foule. Il introduit la soirée et présente ses invités: Régina Rubens, la styliste aux cheveux gominés qui a croisé Bruce Willis devant un tapis roulant dans un aéroport et John Travolta dans un hôtel; Emmanuel de Brantes, l'œil impertinent de "Vogue" et co-scénariste du film "Jet Set"; Pierre Cornette de Saint-Cyr, le commissaire priseur à la cravate jaune d'or; Hermine de Clermont-Tonnerre et ses cheveux rouge vif, patron d'une agence d'événementiel; et enfin Henry-Jean Servat, chroniqueur mondain vêtu d'une veste de cuir noir et d'une chemise aux dessins noir et blanc: il a tout du paparasite!
A noter également la présence de deux autres témoins non négligeables: Bruno Solo et José Garcia, les héros de "Jet Set", film qui sortira en salles le jour de la diffusion de "Ça se discute", mercredi prochain. Jean-Luc Delarue leur demande s'ils reconnaissent quelqu'un parmi les invités présents sur le plateau. "Oui, Emmanuel…", répondent-ils en chœur. Je crois rêver: Bruno Solo a passé des nuits entières chez moi à travailler sur le scénario de "Jet Set" et il n'en fait pas état. OK les gars: les hostilités sont ouvertes!J'ai soudain l'occasion de parler du film et du personnage d'Evrard Sainte-Croix. J'explique alors à quel point j'ai été blessé de me voir caricaturer et calomnier sur grand écran. "C'est dégueulasse", dis-je. Ma sincérité fait mouche: le public m'applaudit et Jean-Luc Delarue compatit. Bruno Solo et José Garcia se confondent, eux, en excuses plates et à l'humour douteux, histoire de calmer le jeu. Seul le chroniqueur de "Vogue" campe sur sa position d'agresseur. "En général, vous ne dites jamais de mal de personne, Evrard…", me demande l'animateur de "Ça se discute". "Si, si, cela m'arrive. Je peux par exemple dire du mal d'Emmanuel…" Et l'intéressé me rétorque, toujours très sûr de lui: "tente ta chance, mon p'tit!"
Cinq minutes plus tard, au beau milieu du débat, je vais subitement le traiter de "patachon", remettant en cause ses mœurs disons peu conventionnels. Il ne bronchera pas. Et ma notoriété va grandir encore à la diffusion du reportage qui m'est consacré. En effet, le simple fait d'exhumer de mon placard la veste blanche de mon grand-père, d'expliquer comment nouer son foulard et d'essayer un béret importé d'outre-Manche aux "Laines écossaises" me rendent sympathique, en tous cas un peu plus que les autres invités qui m'entourent.A la fin de l'enregistrement, Caroline me le confirmera d'ailleurs ainsi que l'illustrateur Jean-Philippe Delhomme, présent sur le plateau et sensible à ma spontanéité. Je suis flatté, mais j'ai besoin d'air après plus de deux heures et demi passées sous les projecteurs. Avec Anne, nous rentrons à pied de la Maison de la radio. Direction: le boulevard Saint-Germain.